vendredi 15 février 2013

Schéma de la robe

Avant de couper le tissu, je me suis penchée sur les détails de la robe. J'ai trouvé de nombreuses polonaises bleues, garnies de mousseline ou gaze blanches:
1777 Jean Laurent Mosnier, Portrait d'une dame de qualité.

Carmontelle:  Mesdames les comtesses de Fitz-James et du Nolestin, Musée Condé, Chantilly.

1775 Jean Laurent Mosnier: Portrait de Marie Antoinette

Jean Laurent Mosnier, Portrait de la duchesse Jacques de Fitz-James

J'ai également trouvé ce portrait, où l'on voit bien la différence des deux étoffes:
1779 Jens Juel: Femme inconnue.

Toutes les garnitures sont en gaze, sauf le noeud du parfait contentement. J'étais un peu embêtée car la robe du portrait de Madame Elisabeth semble être faite d'une superposition, jusqu'au moment où j'ai trouvé ceci:

Je sais juste que le portrait date des environs de 1778, donc si vous en savez plus, je serai preneuse de vos informations. Il s'agit bien d'une polonaise rose, avec superposition d'une étoffe blanche transparente et brodée qui plus est! Exactement comme dans mon portrait. Il est par contre dommage que la jupe ne soit pas visible. Forte de ces informations, j'ai dessiné ce petit croquis, pour y voir plus clair:


La robe sera donc en taffetas et organza superposés, les noeuds seront en taffetas seul, les garnitures (ruchés, petits bonhommes et le volant de falbalas) seront en organza seul. J'avoue que j'aimerais essayer de broder au plumetis l'organza, mais je ne pense vraiment pas avoir le temps.


Pour avoir une idée du rendu, une petite photo des tissus superposés:





Montage d'un jupon ou d'une jupe XVIIIe

Il existe de nombreux tutoriels en anglais sur Internet pour monter un jupon ou un jupe au XVIIIe.
A fashionable frolick: tout y est fait à la main, comme à l'époque.
Koshka the cat: le site de Katherine, reconstitutrice de la première heure, qui fait également tout à la main et y passe toutes ses nuits.
Yesterday's thimble
American duchess, qui propose plein de tutoriels et partage ses expériences

Voici donc ma technique:


Il faut tout d'abord mettre votre support de jupe sur votre mannequin: cul, paniers. Ensuite, on prend trois mesures (rouge, verte et violet sur le schéma) de la taille à l'endroit où l'on veut que l'ourlet de la jupe s'arrête (le sol, la cheville, etc.). En ce qui nous concerne, ça a été assez court, puisque la robe à la polonaise est une robe courte. Ceci à trois endroits différents: devant, sur un côté et au dos. On y rajoute de quoi faire l'ourlet (au moins 4 cm). Vous avez ainsi trois hauteurs.

Ensuite, ma jupe ou mon jupon sont constitués de deux panneaux larges de 1.5m à 2.5m, ça dépend de l'épaisseur du tissu. En général, je prends 1.5m. Je reporte alors mes mesures comme sur le schéma. J'assemble sur les deux côtés, à partir du bas, en laissant environ 20 cm ouvert en haut, pour pouvoir enfiler la jupe et la fermer.


Une fois que mes côtés sont cousus, je me retrouve avec une sorte de large tube. C'est à ce moment que l'on coud l'ourlet du bas du jupon. Je commence ensuite à faire des petits plis à la main, certains pourront les considérer comme des fronces sur la partie haute du jupon. Le dos de la jupe est entièrement plissé, le devant uniquement sur les côtés. Je laisse une vingtaines de centimètres non plissés sur le devant.
Je fais deux rangs de fronces pour qu'elles soient mieux réparties et plus solides.
Chaque panneau une fois plissé doit faire la moitié du tour de taille. Donc ici, pour le dos: 63/2= 31.5 cm. Pour le devant: 31.5 - 18 (mon espace non plissé) = 13.5/2 =  6.75 cm de chaque côté du devant. Ces mesures sont bien sûr à adapter à chacun.


Attention à bien faire la différence entre le dos et le devant pour ne pas avoir tout à recommencer...comme j'ai dû le faire (moment d'égarement)!

On se retrouve donc avec quelque chose comme ça devant:


On peut alors essayer en épinglant sur le mannequin et se rendre compte des problèmes si problèmes il y a (ce qui fut mon cas!). Donc, je vous le recommande vivement.


Pour terminer le haut, j'ai l'habitude de coudre un biais de la même étoffe que le jupon ou que la jupe. Le tout à la main, ça fait plus propre et ça évite les coutures apparentes  Pour ce faire, on coud un coté, on rabat l'autre côté et on fait un petit point invisible. Le biais doit dépasser de chaque côté des deux panneaux de la jupe car il sert à la fois de finition, mais également de moyen de fermeture sur les côtés.


Et voilà le jupon terminé, entièrement cousu à la main!





mercredi 13 février 2013

Où l'on parle crûment supports de jupe (ou pas!)

Aujourd'hui, j'ai commencé la couture!
Je me suis attaquée aux "fondations" de la robe, c'est à dire aux sous-vêtements qui modèlent la silhouette. Après avoir feint hier un corps corseté, j'ai besoin de créer un volume pour soutenir la jupe.

Il ne s'agit pas ici de paniers (encore moins de crinoline, qui date du XIXe siècle), mais d'un cul. De Paris, plus exactement (enfin, c'est une qualification pudique du XIXe siècle!). C'est grâce à Madame de Genlis que nous savons comment les dames nommaient cela dans la dernière partie du XVIIIe siècle. Elle relate d'ailleurs un épisode fort comique dans ses Mémoires inédits, tome VI. Je vous poste l'extrait ci-dessous:


Les mémoires de Madame de Genlis nous laissent un peu sur notre faim quant à la forme de ces culs. L'iconographie est essentiellement satirique et britannique. Chaque gravure, ou presque, montre une forme différente, mais cela correspond aux écrits de Madame de Genlis. De plus, il est difficile de deviner les proportions juste d'après les gravures.

The Bum Shop, 1785. Lewis Walpole Library

A noter que la littérature anglo-saxone de l’époque est beaucoup plus riche en termes pour désigner cette chose rembourrée de crin, nouée autour des hanches et qui gonfle la jupe. A ce propos, je ne peux que vivement vous conseiller l'article écrit par Kendra van Kleave sur son blog Démodé: elle essaye d'y analyser les noms et formes possibles, sur elle-même et sur son amie Sarah, qui ne présentent pas toutes les deux les mêmes mensurations: Late 18th Century Skirt Supports: Bums, Rumps, & Culs

Madame de Genlis parlant de cul "plus ou moins parfaits de ressemblance", j'ai décidé de donner une forme relativement anatomique au mien. Il est en coton, rembourré de ouate de polyester (le crin étant un peu compliqué à trouver en si petite quantité):

 Une forme un peu étrange à plat, au sol.


Mais qui donne un joli cul, une fois rembourré et cousu (à la main!)

 Sur le mannequin, qui attend patiemment son jupon, prochaine étape du projet!

***
PS: si je ne fais pas augmenter la popularité du blog avec cet article, il faudra dire à Madame de Genlis que Madame de Matignon avait l'esprit fort mal placé.

mardi 12 février 2013

Histoire de silhouettes

Le robe étant exposée sur un mannequin, j'ai du procéder à une petite chirurgie esthétique de celui-ci car c'est bien évidement impossible de corseter quelque chose de rigide.

Avant toute chose, il faut bien comprendre les effets du corps à baleines XVIIIe sur le corps féminin. Avec les deux images suivantes, ça sera déjà un peu plus clair:

Brassiere, Gothic Cordtex Stays |  | M969X.26 

 A gauche: Brassiere, Gothic Cordtex "Elfin" model Dominion Corset Co. 1940-195, Don de  Mme Gisèle Trépanier M2005.147.4 © McCord Museum

A droite: Corps à baleines, 1785-1790,  39.8 cm Don de Mrs. Hamilton M969X.26 © McCord Museum.

Le plus évident est la taille affinée. Mais ce n'est pas le seul résultat. Ce dessin de la costumière Jean Hunnisset, tiré de son livre Period costume for stage and screen  montre que le port du corps baleiné remonte également le niveau de la poitrine.


Toutefois, d'autres modifications n'apparaissent pas sur ce schéma. Tout d'abord, le corps baleiné ne descend pas assez bas: il devrait prendre plus bas sur les hanches en affinant plus la taille. La découpe des basques dans la partie basse du corps baleiné permet de "mordre" sur les hanches, donnant ainsi l'impression d'un buste plus fin et long. Ensuite, le port du corps baleiné rejette fortement les épaules en arrière, dégageant le haut du buste.


Ici un exemple très poussé où l'on voit bien les épaules rejetées en arrière et le buste en forme de cône. Corsage dit de Marie Antoinette, qui aurait servi à Rose Bertin pour présenter à la reine des décorations pour les corsages de cour. Vers 1780-87. Satin vert d'eau délavé. Musée Galliera.

Voici le mannequin sur lequel je vais travailler: c'est un modèle "moderne" avec les proportions actuelles d'une taille 40. Mon objectif est donc de remonter la poitrine, réduire la carrure du dos et affiner la taille. J'ai donc passé la journée à scier,couper et  poncer! Heureusement, le mannequin est en polystyrène!


Le mannequin avant.


Après rabotage de la partie basse des seins, affinage de la taille et découpe des épaules.


J'ai ensuite ajouté de la ouate de polyester au dessus de la poitrine, pour faire comme si elle était poussée vers le haut.

Et voilà après la repose du jersey. La taille est affinée, la poitrine remontée. Le buste est plus en forme de cône qu'à l'origine. J'aurais voulu que la taille soit encore plus fine mais j'avais peur de trop affiner la surface du polystyrène et donc risquer de le trouer. On voit que je suis intervenue sous la poitrine, mais cela ne se verra plus une fois la robe enfilée.

samedi 9 février 2013

Choix des étoffes

Le choix des étoffes de la robe est primordial afin de lui donner un air le plus XVIIIe siècle possible. 
L'examen attentif du tableau nous montre des pois plus clairs par endroits, comme -ci dessous.


 Il semble que le tissu utilisé soit une gaze à pois du style gros plumetis. C'était une étoffe très à la mode faite en Picardie site "gaze anglaise". La gaze anglaise est un type de gaze classique.  Cette appellation résulte de la mise au point de l'armure par un tisseur anglais. Je vous épargne les schémas techniques de tissages des tissus, auxquels j'avoue moi-même ne pas y comprendre grand chose. Par contre, je peux vous dire que la gaze est un tissu léger à structure très lâche, molle et transparente, elle doit son nom de la ville de Gaza, ce tissage ajourée est obtenu par un procédé de croisement particulier constitué de fils droits et de fils de tour pour éviter le glissement des fils. La gaze anglaise est toutefois très fine et raide. Aujourd'hui lorsque l'on cherche du plumetis, on ne trouve guère plus que des tulles synthétiques.


Cette gaze semble associée à un tissu de dessous, fin léger et bleu.


Le décor des manchettes en gaze anglaise.


Les superpositions de tissus jouent sur la transparence de la gaze.


Je savais que j'aurais beaucoup de mal à trouver une gaze anglaise au plumetis et cette dernière possède un tissage toile, tout comme l'organza.
L'organdi et l'organza sont en fait de tissage identique, seule leur matière diffère : coton pour l'organdi et originellement soie pour l'organza. On trouve maintenant majoritairement des organzas synthétiques. Ils diffèrent de la mousseline par leur aspect rigide et de la gaze par un tissage plus serré.

Je me suis donc fixée sur un organza blanc et un taffetas de doupion de soie bleu clair. A savoir que normalement, le taffetas présente également une armature toile et qu'à l'origine, il est redondant de préciser "taffetas de soie" puisque le taffetas était obligatoirement de soie. De nos jours, avec l'apparition des fibres synthétiques imitant la soie, il est devenu nécessaire de le préciser.


Le doupion est à l'origine une soie irrégulière qui provient de cocons doubles et forme ainsi des irrégularités de grosseur du fil. J'ai choisi ce tissu par rapport à un taffetas "simple" car il était plus léger au toucher. De plus, j'avais vu des taffetas du XVIIIe siècle sur des robes présentant quelques grosseurs, comme sur les doupions de soie.




mercredi 6 février 2013

Quelle robe porte le modèle?

Pour débuter, il a tout d'abord fallut définir quel type de robe figure sur le tableau. Je me suis fixée sur une robe à la polonaise, puisque très à la mode à partir de la fin des années 1770 et durant les années 1780.

Qu'est-ce qu'une robe à la polonaise?
"Nom féminin, Sous Marie-Antoinette, vers 1778, fut crée la mode de "robe à la polonaise" fort différente de la mode à la française, c'est à dire à plis dans le dos. Le caractère spécial de la polonaise est un dos ajusté, cambré, l'étoffe des pièces de devant et de dos descendant jusqu'aux extrémités de la robe. Les deux pièces de dos, très étroites à la taille, s'épanouissent sur une tournure en demi-panier. Les deux coutures descendant des hanches sont accompagnées de coulisses ou de cordons à glands qui froncent l'étoffe. Cette robe, dite "polonaise" est taillée en rond, formant trois lobes en baldaquin grâce aux fronces, le lobe central étant le plus long. Le corsage ne s'attache qu'au sommet du corps à baleine sous un nœud de rubans, les pans restent flottants afin de rendre visible un gilet ajusté en pointe épousant le corps. La jupe et munie de larges "falbalas" tout autour, découvre la cheville et laisse voir la polonaise en entier. Il y eut naturellement de multiples modes polonaises. On vit la polonaise "aux ailes, à queue épanouie, à poche et coqueluchon, d'hiver, à la reine, à l'australienne, à la Jeanne d'arc, coupée, à la Jean-Jacques, à la circassienne, négligée, à la liberté, à la versaillaise", cette dernière n'ayant plus de fronces mais découpée à la forme. Il se fit aussi des "caracos" à la polonaise qui n'étaient que des robes coupées droit, plus bas que les hanches."
Maurice Leloir, Dictionnaire du costume, p.286 

La robe à la polonaise est donc une robe plus légère, moins formelle que la robe à la française. Elle est plus ou moins courte, et sans couture à la taille. 

 Trinquesse, Le concert, 1774

 Sur ce tableau de Trinquesse, on voit bien que la taille ne présente pas de couture horizontale. La rosette sur le côté de la jupe permet de masquer le système qui permet de la retrousser.


 Anne Vallayer-Coster, Femme et sa fille

 Ce tableau nous permet de bien voir le devant de la robe à la polonaise portée par cette jeune fille: le manteau est ouvert et agrafé sous le "parfait contentement" (un gros noeud), orné ici d'une rose, sur le gilet apparent.



En ce qui concerne la robe de Madame Élisabeth, certains détails m'ont un peu ennuyée.
Le manteau de robe semble bien agrafé sous un parfait contentement. Le devant du gilet semble décoré d'une échelle de rubans. La manche en sabot est ornée de "petits bonhommes" (type de manchette) de tissu transparent. Toutefois, il semble y avoir des plis à la taille. D'où mon doute. J'ai donc cherché à savoir ce qu'il en était et je suis tombée sur cette miniature de Jean-Laurent Mosnier représentant Marie Antoinette en 1775 et passé en vente récemment:


La taille semble également plissée alors qu'il s'agit sans aucun doute d'une polonaise, vu le manteau de robe largement ouvert. J'en ai donc conclu qu'il s’agissait d'une vue de l'artiste et que c'était bien une robe à la polonaise...

Genèse du projet

Le propos de ce blog est d'expliquer les choix, ainsi que le réalisation de la reconstitution de la robe portée par Elisabeth de France, soeur de Louis XVI, dans ce portrait de Charles Leclercq (1783):


Leclercq Charles (1753-1821), Madame Elisabeth, soeur de Louis XVI jouant de la harpe
(C) RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon